L’évolution technologique, mais aussi celle du marché et de la fiscalité, sont en train de transformer en profondeur le métier d’expert-comptable – jusqu’à en faire un métier différent, exigeant un renouvellement des compétences. Entretien avec Emmanuel Degrève, fondateur du cabinet Deg & Partners et vice-président de l'ordre des experts-comptables.
Emmanuel Degrève voit l’avenir de sa profession avec confiance et en parle avec enthousiasme, même si, dit-il, "ce n’est plus du tout le même métier qu’hier" – et que ce ne sera pas non plus le même métier demain.
"Les acquis, tels qu'on les a enseignés, vont en partie disparaître par la transformation technologique et l’automatisation. Toute une série de tâches commencent à s’opérer toutes seules, presque malgré le comptable. Aujourd’hui, par exemple, de plus en plus de logiciels vous proposent eux-mêmes des écritures; il faut encore une tête bien faite pour les valider mais ce sera bientôt beaucoup moins vrai, parce que l'écriture sera quasi toujours exacte. Le risque, dès lors, c’est celui du décrochage entre ce que les outils permettent de produire, et ce qu’on est capable de faire des résultats."
"Il va donc falloir, d’une part, amener les futurs entrants dans la profession à posséder beaucoup d'aptitudes technologiques, et d’autre part, s'assurer qu'ils ne décrochent pas sur le plan de la technique comptable."
La numérisation et l’automatisation, en supprimant certaines tâches, ouvrent par ailleurs le champ à l’exercice de nouvelles compétences qui relèvent typiquement des ‘softs skills’: "Dès le moment où l’expertise est assistée, on récupère du temps pour s’occuper des clients. Mais pour quelqu’un qui a passé des années à encoder, cela n’a rien d’évident. Clairement, il va falloir apporter aux gens une assistance et une formation: qu’est-ce qu’un client? comment communiquer avec lui? comment entendre ses besoins, ou formuler des choses difficiles, mais d'une façon positive? On voit émerger ces sujets de même qu’on a vu, il y a quelques années, émerger des formations sur le marketing."
"Une autre réalité, c'est l’augmentation de la charge mentale. Si on digitalise davantage, on va traiter davantage de dossiers et de clients. Mais ce n'est pas la même charge mentale de s’occuper de 200 clients ou de 40. Cela aussi, ce sont des choses à apprendre."
Emmanuel Degrève pointe encore d’autres puissants moteurs de transformation: l’évolution de la fiscalité, "devenue épouvantablement tortueuse", ainsi que la forte consolidation du marché.
"Dans le même temps, beaucoup de professionnels prennent leur retraite, tandis qu’on peine à recruter. C’est pourquoi je plaide pour une approche confraternelle, en mutualisant l’expertise; on pourrait avoir un peu plus de clients par personne, mais avec des enjeux beaucoup plus intéressants. C’est une des raisons pour lesquelles notre ordre a initié une application d'intelligence artificielle."
Voilà encore une autre transformation des compétences…
Dans notre dossier "Formation continue":
· Edito: Il est temps de se former
· Les Belges en déficit de formation continue
· Formation continue: un droit et une obligation
· Apprendre: un avantage concurrentiel