"A-t-on encore intérêt à une pédagogie principalement fondée sur la compétition?" La question est posée par le Dr Jacques Fradin, comportementaliste et cognitiviste, qui collabore notamment avec l’Institute of NeuroCognitivism à Bruxelles. À la lumière des neurosciences, il plaide pour un enseignement qui favorise davantage l’empathie et la coopération.
"S’il y a peut-être une chose à changer dans notre monde, ce n’est pas ce qu’on enseigne, mais la manière de l’enseigner", estime le Dr Fradin.
"On a beaucoup promu, depuis les années 90, l'enseignement par l'excellence, ainsi que la compétition, en estimant que la compétition développait les capacités d'autonomie, d'adaptation, de dépassement de soi, bref ‘l'empowerment’. C'est très positif. L'aspect négatif, c’est que la compétition développe le rapport de force. Elle branche certaines parties du cerveau, dont l'amygdale limbique (impliquée notamment dans les circuits de réponse à la peur, ndlr), qui est plutôt en antagonisme avec le cortex préfrontal, lequel développe l'adaptation, l'empathie, donc la coopération."
Bien sûr, reconnaît-il, nous avons parfois besoin de compétition. "Mais si on ne parle que de ça, que l’on dit à un enfant ‘Si tu n'es pas le meilleur, tu n'auras pas d'avenir’, si on ne développe que la compétition, je pense que l'on commet de graves erreurs. Moi, je crois qu’on a un cerveau plutôt gentil – on crée des politiques sociales, on éduque les enfants pour leur bien, etc. – mais si on stimule trop ce cerveau dans un sens dangereux, on finit par obtenir ce qu’on ne souhaite pas. On a peut-être là un des mécanismes explicatifs de processus observés régulièrement dans l'histoire humaine, à savoir les conflits, pour ne pas dire les guerres, la prédation, les injustices sociales… Ça montre que la compétition est une mauvaise réponse à une bonne question: comment se dépasser?"
"Si on veut évoluer vers une société durable, on a plutôt besoin d’apprendre à coopérer. Comment faire? La Suède propose par exemple des ‘cours d'empathie’: des groupes de parole où on apprend à exprimer ses fragilités, ses particularités, évoquer ses faiblesses. Cela crée du lien et réduit les rivalités. Une autre piste est ce qu’on appelle la pédagogie inversée, où des élèves préparent le cours et le présentent à leurs semblables, avant que le professeur intervienne dans un deuxième temps. C’est une stratégie qui favorise l’adhésion, qui permet une plus grande diversité dans la façon de présenter les choses."
"Nous sommes longtemps restés dans l’ignorance de nous-mêmes. Le cerveau était quelque chose d’extrêmement compliqué. Aujourd’hui, on a les connaissances; on peut espérer un impact."
"Les grandes écoles ont un rôle déterminant à jouer", conclut-il, "parce qu’elles forment ceux qui nous dirigent, nos responsables économiques ou politiques, qui ont eux-mêmes un rôle-clé dans notre culture. Nous devons faire en sorte que ce soit une culture d’empathie et de coopération."
Info: Jacques Fradin
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