Que reste-t-il à apprendre quand on dispose de calculatrices, de traducteurs automatiques, d’encyclopédies en ligne, et désormais de l’intelligence artificielle générative? Tout simplement, des compétences humaines distinctives, essentielles dans un monde en mutation.
Quand Thot, le dieu des scribes, présenta l’invention de l’écriture au roi Thamous, celui-ci le blâma: si les hommes s’en remettent à l’écrit, ils n’entretiendront plus leur mémoire et perdront le vrai savoir. L’écriture serait donc un pharmakon, aussi bien remède que poison. Ce mythe, rapporté par Socrate, pourrait s’appliquer à de nombreuses technologies qui, de la calculette à internet, sont venues renforcer (ou pallier?) nos capacités humaines au gré de la transformation numérique de nos sociétés.
Au rang des innovations venues secouer la manière dont nous vivons – et dont nous apprenons – la démocratisation de l’intelligence artificielle générative n’est pas en reste. L’apparition de ChatGPT, en novembre 2022, crée une extraordinaire disruption dans notre manière de produire et consommer du contenu. Tout à coup, chacun dispose d’un assistant personnel à portée de clic – y compris les étudiants, qui peuvent lui confier une bonne partie du travail de recherche, synthèse et rédaction de leurs productions.
Toutes proportions gardées, l’influence des IA génératives sur l’enseignement peut être comparée à celle de Wikipédia dans les années 2000: au lieu de devoir consulter des dizaines de sources en bibliothèque ou sur le web, les étudiants accédaient à une énorme banque de contenu centralisée, assez complète et précise sur de nombreux sujets – ce qui a obligé les enseignants à repenser ce qu’il était pertinent de demander en termes de recherches et de synthèse.
À la différence d’outils tels que la calculatrice, qui ont intégré progressivement nos écoles, l’irruption soudaine de ChatGPT est venue remettre brutalement en cause un certain nombre de pratiques pédagogiques bien ancrées, notamment dans l’évaluation des travaux écrits.
L’IA transforme – et continuera à transformer – notre système éducatif. Elle nous bouscule, mais elle est aussi un bon cheval de Troie: le choc est tel qu’il nous force à nous poser des questions fondamentales sur ce que nous demandons à nos étudiants et sur l’accompagnement qui leur est proposé.
Plus que jamais, nous devons les former à mobiliser ce que l’intelligence humaine a de distinctif: la créativité, le recul critique, l’ancrage dans des perspectives émotionnelles, éthiques et morales…
Non seulement pour apprendre à utiliser les outils de l’IA, en connaissant leurs biais et leurs limites, mais surtout pour évoluer dans un monde incertain et les préparer à en relever les défis.
Ce qui était déjà un enjeu est devenu incontournable. En intégrant les défis posés par cette transformation numérique, nous avons l’occasion d’embrasser plus largement le rôle à jouer par l’enseignement face à l’ampleur des enjeux écologiques et sociaux de notre époque.
Sophie Poukens,
Responsable du Service de Soutien aux Enseignements et coordinatrice qualité à la Haute Ecole EPHEC.
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