Un fossé entre les générations? On dirait que le courant ne passe plus entre les employeurs et leurs jeunes collaborateurs – les 20 à 30 ans, ceux qu’on appelle la "génération Z". À peine engagés, certains s’en vont sans crier gare, laissant leur (ex-)patron étonné et déçu. Pourquoi semblent-ils si peu attachés à leur emploi?
Retournons la question: pourquoi y seraient-ils attachés? Que peut leur apporter leur employeur? "Rien qui vaille la peine de sacrifier mes projets personnels", semblent répondre beaucoup de "Z".
Tâchons de les comprendre: dans le monde où ils ont grandi, ils ont vécu ce que j’appelle un "choc des évidences contradictoires".
D’une part, les adultes qui les entouraient leur ont expliqué les menaces pesant sur le climat, les ressources, l’économie… Mais ces mêmes adultes n’ont pas semblé capables d’y répondre. Ils ont continué droit vers le mur qu’ils pointaient du doigt. Première contradiction.
D’autre part, ils ont pu voir les conséquences des crises de 2008-2010. Ils savaient déjà, grâce au vécu de leurs parents, que l’économie pense profit à court terme. Ils ont découvert que ce jeu est aléatoire : les entreprises les plus responsables ne sont pas forcément récompensées. Deuxième contradiction.
Ils en ont conclu – à tort ou à raison – qu’il ne fallait pas trop compter sur le monde de l’entreprise, ni peut-être sur le monde politique, pour s’en sortir. L’employeur qui les aborde part en quelque sorte avec un handicap: il ne paraît pas crédible. Dès lors, mieux vaut selon eux ne pas trop faire confiance ni s’investir. Tant mieux si le job est agréable et le salaire à la hauteur, mais après tout, "ce n’est qu’un job".
Ces jeunes travailleurs ont aussi compris que, dans l’entreprise, on compte: KPI, bilans trimestriels, objectifs… Donc ils comptent, eux aussi, et comparent: qui paie le mieux? qui offre le plus d’avantages?
Comment s’en étonner? Quel employeur peut-il s’attendre à ce que ses salariés se dévouent "sans compter", quand lui-même compte tout?
La motivation extrinsèque (récompense, orgueil, sanction…) n’est efficace qu’à très court terme. Le vrai débat, à mon sens, est celui du récit.
Le grand travail d’objectivation mené – à raison – dans les entreprises a fini par assécher leur culture et leur message: elles n’ont plus rien à raconter, en particulier à la génération montante, qui a tant besoin de récits.
Comment dépasser le court-termisme pour proposer aux (jeunes) gens un projet qui les nourrisse? Un projet dans lequel ils aient envie de s’engager, de s’associer pour créer, avec d’autres, quelque chose de plus grand que la somme de leurs talents?
Ce qui me frappe, dans les entreprises qui parviennent à relever ce défi, qui réintègrent les enjeux de long terme, qui complètent la recherche de performance par celle de la cohérence à long terme et du respect de « vraies » valeurs, c’est que cette génération révèle toute sa motivation. Elle s’avère un formidable moteur de progression.
Bernard Petre,
Coach, philosophe et sociologue tout terrain
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