"Laissez-moi vous convaincre"

29/4/2025
Idées
Qu’aurait dit Churchill ? (Photo Wikipedia/US National Archives and Records Administration).

Où réside la force de persuasion? Par quels ressorts les meilleurs orateurs parviennent-ils à convaincre? Et comment s’en inspirer? Ces questions, Pierre André, chercheur en rhétorique, les étudie au sein de l’ULB. Entretien.

"La rhétorique est née avec la démocratie", rappelle Pierre André, "autour des IVᵉ-Vᵉ siècles avant notre ère, quand on a pensé que chacun avait le droit de participer au débat public. D’où s’est imposée la nécessité de donner à tous les outils nécessaires pour prendre la parole et persuader."

Dans ce domaine, Bruxelles tient une place particulière puisque c’est à l’ULB, dans les années 1950, que des théoriciens réunis autour de Chaïm Perelman ont formulé ce qu’on appelle "la nouvelle rhétorique" – on parle aussi "d’École de Bruxelles".

"Perelman montrait que le positivisme, l’idée scientifique selon laquelle le raisonnement logique mène forcément à la vérité, ne fonctionne pas – et qu’en tous cas, il n’a pas empêché la Seconde Guerre mondiale. Il proposait de redécouvrir la rhétorique d'Aristote, un peu oubliée à la suite des Lumières."

Celle-ci, explique le chercheur, repose sur trois éléments: "C’est d’abord le logos, la construction d’argument convaincants, qui cependant n’est pas tout. Il y a aussi l’ethos, la façon dont se présente: est-ce qu’on se présente comme un expert? ou quelqu’un qui apporte un regard nouveau? Enfin, on accorde une grande place aux émotions, en apprenant à les reconnaître dans un discours, ce qui n’est pas si facile, et à les comprendre."

"La vertu du cadre aristotélicien, c’est de permettre de dépasser les catégorisations binaires du type ‘rationnel/irrationnel’, ‘corps/esprit’… Tout ce qui est émotionnel n’est pas irrationnel; cela fait partie de la rationalité de l'humain. C’est donc une vision beaucoup plus réaliste et complète à laquelle on revient enfin. Je dirais même que c'est d'autant plus important à l’heure des intelligences artificielles."

Bien sûr, certains orateurs possèdent très naturellement l’art de persuader. "Mais la rhétorique, c’est aussi une discipline qui se travaille, un peu comme des gammes. Il existe d’ailleurs de nombreux exercices."

L’un d’entre eux consiste à se mettre dans la peau d’un personnage célèbre pour imaginer un discours: en cette circonstance, que dirait Churchill ? ou Steve Jobs ? Un autre exercice est celui de "l’éloge paradoxal": "Comment faire l’éloge, par exemple, d’une tomate pourrie ? Cela paraît absurde, mais ça permet de comprendre comment fonctionne l'amplification de la langue." Pierre André évoque encore le "dissoï logoï", qui consiste à défendre successivement deux positions opposées. "Cela oblige à considérer la position adverse et ce qu’elle peut avoir de raisonnable, ce qui développe l’empathie."

"La rhétorique", conclut-il, "c’est quelque chose qui se travaille par la pratique. L’analyse ne suffit pas. Il faut faire soi-même pour comprendre le fonctionnement des discours et ce qui fait leur efficacité."

Envie de (vous) persuader? La persuasion fera l’objet de pas moins de trois ateliers animés par Pierre André, aux mois de mai et juin, dans le cadre des ateliers "Philo & Business" de l’EPHEC Formation Continue. Découvrez notre programme complet.

En lien avec cet article:

Que disent nos gestes?

"Les émotions sont le moteur de l’humain"

Edito: Soft Power

Ne ratez pas une chance d'apprendre.
Chaque mois, découvrez de nouveaux articles, rencontrez de nouveaux experts et faites évoluer votre vision du futur.
Je m'inscris