"Pourquoi mes collaborateurs ne m’ont-ils rien dit?" Cette question, vous vous l’êtes peut-être déjà posée, malheureusement trop tard pour régler le problème, limiter les dégâts ou saisir l’opportunité. Il y avait pourtant dans votre entreprise des gens qui avaient compris, mais qui ont préféré se taire. Pourquoi? Les réponses de Bernard Petre, consultant, philosophe et sociologue.
Pourquoi vos collaborateurs tairaient-ils une information dont ils ont connaissance, malgré les conséquences que cela pourrait entraîner? Au premier abord, cela ressemble à une faute, mais c’est plus compliqué que cela.
"Dans l’entreprise, les questions qu’on n’aborde pas avec la hiérarchie sont généralement de celles qui fâchent, ou dont on croit qu’elles pourraient fâcher", explique Bernard Petre. "Celles qui pourraient la ralentir, en l’obligeant à marquer un temps d’arrêt pour réfléchir. Dans notre monde de vitesse, de croissance et d’accélération, les entreprises n’aiment pas ‘perdre du temps’."
Justement, dans ce monde toujours plus "vica" (ou vuca en anglais) – volatil, incertain, complexe et ambigu – rien n’est plus précieux que de réfléchir à ce qui pourrait échapper à nos indicateurs et grille d’analyse : et si nous prenions la mauvaise direction? peut-être avons-nous mal évalué tel risque? Souvent, des collaborateurs se sont posé ces questions sans les exprimer.
"Généralement, ces non-dits sont motivés par une crainte : celle d’avoir tort, d’avoir l’air ridicule, de remettre en cause l’autorité du patron… La colère est une autre raison: quand on se sent mal considéré, se taire peut être une forme de vengeance. Enfin, il y a le désengagement, parfois nourri par la culture d’entreprise: ‘On ne vous paie pas pour réfléchir’ est l’une des pires phrases que puisse prononcer un patron."
"La première condition pour abolir les non-dits, c’est d’installer un climat de sécurité psychologique où chacun sent qu’il peut s’exprimer – quitte à parfois dire une bêtise. Toutefois, cela ne suffit pas. Pour vraiment aborder les questions qui fâchent, mieux vaut prévoir régulièrement des moments pour le faire, de préférence collectivement. Des moments où le manager pourra demander : ‘Qu’avez-vous vu qui m’aurait échappé ?’"
Ces moments permettent non seulement de récolter une information précieuse, mais aussi de valoriser les collaborateurs et d’instaurer un "cercle vertueux de motivation".
"Si la franchise est récompensée, si le management est sincère et tient réellement compte de l’information, chacun aura bientôt à cœur de contribuer. Personne n’a envie d’être celui ‘qui ne voit jamais rien’; il est donc probable que chacun déploiera ses antennes pour ‘capter’ quelque chose d’utile."
"Installer ce cercle vertueux prend du temps, mais c’est un outil très puissant. Comme dans un jardin bien entretenu, le ‘terrain’ finit par générer ses propres ressources: il produit une quantité de fruits bien supérieure aux efforts consentis pour le cultiver."
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