Fin de la mondialisation, faible croissance et crises à répétition: l’économiste Rudy Aernoudt, qui est aussi philosophe, énonce des prévisions qui n’incitent guère à l’optimisme. Lui-même se veut cependant positif: "Je pense qu’on doit changer de regard sur l’économie et ne plus en faire un objectif, mais un outil. Commençons à construire notre résilience."
"Les chefs d’entreprise passent bien trop peu de temps à s’intéresser à la macroéconomie", estime Rudy Aernoudt. "C’est sans doute parce qu’ils croient que la macroéconomie leur échappe, mais elle impacte plus de la moitié de leur business plan. C’est donc très important."
L’économiste pose le cadre: "À court terme, 2024 sera une année de transition, avec une inflation qui reste mal maîtrisée et une croissance atone. Donc, c’est la stagnation. À plus long terme, on s’attend à une inflation sous contrôle, mais avec une croissance mondiale qui restera durablement faible."
L’une des tendances de cette économie mondiale, c’est désormais la "slowbalisation": "Le village mondial, c’est fini. Chaque continent tente d’agir pour lui-même. On voit revenir les politiques de subsides, comme aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act. On voit également réapparaître les barrières non tarifaires, ce qui nuit au commerce international et par ricochet à la croissance – comme l’avait pressenti Ricardo."
Cependant, cette remise en cause (relative) du libre-échange n’est pas forcément négative: "Je suis très favorable à l’ouverture des marchés, mais il faut les mêmes règles pour tous, sinon on se sabote. Il faut donc se protéger un peu. Par ailleurs, l’autonomie stratégique, comme l’Europe l’a définie pour elle-même, est un objectif légitime. Les dernières crises nous l’ont appris."
C’est une autre caractéristique de notre environnement économique: ce que Rudy Aernoudt appelle la "permacrise". "On me demande souvent quand nous allons sortir de la crise. Et je réponds: ‘Jamais!’ L’état normal de l’économie, ce n’est pas la stabilité, c’est la volatilité et une succession de crises. On peut même dire qu’elles se rapprochent. Je ne sais pas de quelle nature sera la prochaine, géopolitique, financière ou épidémique… mais je sais qu’elle aura lieu, et sans doute dans les trois ans."
"Je pense qu'il faut commencer à réaliser – et là, je parle plutôt en philosophe qu’en économiste – que la résilience doit devenir plus importante que la croissance."
"Je suis un grand adepte du ‘scenario thinking’ : quels sont les scénarios possibles qui peuvent nous impacter ? et pour chaque scénario, qu’allons-nous faire?"
"Je pense aussi qu'il faut aussi voir les choses de manière positive, qu'il faut être innovant et créatif. Nous sommes plongés dans une économie à faible croissance. Comment être heureux dans cette économie-là? Pour beaucoup de gens, cela représente un changement de mentalité. C’est pourquoi je pense que beaucoup d'économistes devraient aussi être philosophes."
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